CHAPITRE III

Les cosmonautes observaient avec curiosité les énigmatiques créatures que l’on venait de rassembler dans la salle de relaxation du premier étage.

— Huit ! acheva de compter O’Connor. Et aucune femme à première vue. Rien que des hommes, commandant.

Son examen ne paraissait pas sujet à caution : les créatures humanoïdes trahissaient effectivement leur appartenance au sexe masculin. Rien ne les différenciait des Terriens, sauf la teinte vert émeraude de leur abondante chevelure qui s’harmonisait d’ailleurs ’ avec la coloration rosée de l’épiderme.

Le front était fuyant, les pommettes légèrement saillantes, mais l’aspect physique dans son ensemble était typiquement humain.

Ainsi groupés au milieu de la cabine, ils semblaient unir leur frayeur, leur incompréhension, mais aussi leur crasse et leur épouvantable odeur de putois. Dieu, qu’ils puaient !

— Mais enfin, d’où viennent-ils ? demanda Lurbeck en se grattant le front. Du diable si j’arrive à comprendre quelque chose là-dedans !

Ted Mason hocha la tête et émit :

— Deux hypothèses ! Ou bien ces créatures sont enfantées par les monstres du ciel, ou alors…

Ce fut à son tour de se gratter le front.

— Ou alors elles ont renoué avec la légende de Jonas.

— Jonas dans la baleine ! appuya Seymour avec perplexité. L’histoire de Jonas est très amusante, bien sûr, mais celle-ci ne l’est pas du tout. Qu’allons-nous faire de ces gens-là, bon sang ?

Il se tourna vers Spencer.

— Georges, amenez les traducteurs télépsychiques. Il faut essayer d’entrer en contact avec eux. Il nous faut à tout prix savoir le fin mot de cette histoire.

Le rouquin obéit, mais revint en secouant la tête. Le court-circuit provoqué par l’attaque du monstre avait détérioré une grande partie de l’entrepôt n° 3 et les quelques traducteurs dont on disposait étaient hors d’usage.

Seymour essaya alors d’entrer en conversation avec les mystérieuses créatures, mais ses palabres, ses mimiques, restèrent sans effet et il dut renoncer.

C’est tout juste s’il réussit à leur arracher quelques borborygmes à peine audibles.

O’Connor fit une grimace et dit :

— Moi, ces gars-là me rendent malades. Vivre comme ça à l’intérieur d’un monstre, c’est impensable. Et, qui plus est, un monstre radioactif. Vous l’avez constaté comme moi, les compteurs s’affolaient.

Il se massa la bedaine.

— Et dire qu’on a bouffé de cette saloperie ! J’vous dis que ça va pas. J’suis atteint, vous voulez pas me croire…

— Arrête tes jérémiades ! envoya Spencer avec irritation, ce n’est pas toi qui grésilles, mais eux. Regardez, bon sang !

Il indiquait les compteurs qu’il avait dirigés vers le groupe des humanoïdes. Les aiguilles continuaient à accuser une certaine dose de radioactivité. Des précautions s’imposaient et les humanoïdes furent dirigés sur une cale dont la porte fut soigneusement bloquée. Mais tout cela ne résolvait pas le problème. Qu’allait-on pouvoir bien faire d’eux ?

C’est alors que Lurbeck, qui avait regagné son poste, fit une découverte sur les écrans de contrôle.

Au-delà de la trouée de Mbobirak se trouvait un petit soleil d’un rouge incandescent qui brûlait violemment dans la grande nuit étoilée. Il ne semblait avoir donné naissance qu’à une seule planète, et celle-ci était suffisamment proche de l’astre pour accaparer l’intérêt des cosmonautes.

— Distance ? demanda Seymour.

— En kilomètres, répondit Lurbeck, 14 milliard et des poussières.

— Prochain système ?

— En parsecs : 28,052.

Seymour alluma une cigarette régénératrice.

— Mmm…

La fumée tonifiante lui fit du bien. Progressivement, il sentit que son cerveau se clarifiait, que son rythme cardiaque s’équilibrait à 72 pulsations-minute.

— Qu’en pensez-vous, monsieur Mason ?

Le logicien de l’équipe inclina la tête.

— Eh bien, dit-il, j’en reviens toujours aux origines planétaires de ces êtres. Et si origine il y a c’est dans ce système en miniature que nous la trouverons. Mais ce n’est qu’une hypothèse, commandant.

— Comme toutes les hypothèses, la vôtre demande à être vérifiée.

L’agent spatial se tourna vers les autres.

— Dirigez ce vaisseau vers cette planète. Nous boirons le calice jusqu’à la lie, mes agneaux.

 

***

 

Le cadavre du saurien fut abandonné dans l’espace et, les moteurs enclenchés, l’Aristote fonça vers le soleil rouge.

La vitesse fut un peu réduite pour permettre à Spencer et à Mason d’effectuer de rapides examens.

Ce monde inconnu avait un volume à peu près égal à celui de Vénus, avec une gravité de 0,9 et son atmosphère semblait de prime abord indiquer des conditions semblables à celles de la Terre.

Pendant un instant, Seymour suivit l’agrandissement vertigineux de la planète, puis il alla à l’intercom.

— Décélération sur carrés 10 et 8. Contre-poussée à 3 000 unités. Fixez vos ceintures.

L’Aristote franchissait une masse nuageuse compacte et, dans l’échancrure des nappes floconneuses, on aperçut enfin la surface vers laquelle l’astronef descendait en décélération constante, équilibré par la force de sustentation de ses réacteurs anti-g.

De longues étendues verdâtres semblaient limitées au Nord par un système montagneux nettement dessiné dans un clair-obscur d’ocre et de pastel et, au sud, par un océan immense dont la surface miroitait sous les rayons du soleil rouge.

Quelques minutes s’écoulèrent encore, puis l’Aristote, enfin, prit contact avec une étendue herbeuse couverte de graminées jaunes et bleues, non loin d’un petit lac paisible à la surface striée de vagues légères.

On avait une impression de calme paradisiaque, de sérénité, et l’air était chargé de parfums léger et agréables.

Cette planète était d’une beauté réelle, prenante, avec ses petits torrents et ses cascatelles charriant une eau claire et limpide qui courait entre des rochers couverts d’un tapis de mousse aux reflets chatoyants.

A droite de l’astronef, une masse de champignons géants offrait le plus curieux effet, et l’on distinguait sur le sol de hautes frondaisons piquetées de petites fleurs sanguines.

— C’est le moment de vérifier votre théorie, lança Seymour à Mason. Si ces gens appartiennent à ce monde, c’est avec le plus grand plaisir qu’ils vont retrouver leurs habitudes.

— Et si cela est ?

— Eh bien, il nous sera plus facile de déterminer leur statut écologique au sein de l’équilibre naturel de cette planète, car, de toute façon, nous venons de faire une découverte très importante. Ce monde inconnu nous offre un avant-poste naturel permettant de contrôler la trouée de Mbobirak, mais encore faut-il savoir à quel monde nous avons affaire.

Spencer prit le temps de remplir un gobelet au percolateur qui se trouvait à sa portée, puis tourna la tête vers son supérieur.

— Je suis d’accord avec vous, Dan, dit-il (Il y avait des moments où l’amitié prenait le pas sur les grades et les règlements militaires), mais n’oubliez pas que nous sommes en présence de créatures radioactives.

— Nos combinaisons nous protègent.

— Eh bien ! c’était la seule objection que j’avais à formuler.

Seymour eut un sourire, puis ses doigts jouèrent sur un clavier. Une télécommande permettait l’ouverture de la soute dans laquelle on avait réuni les humanoïdes, et une autre provoquait celle du sas.

Il y eut quelques minutes d’attente, puis, groupés devant le dôme transparent, les cosmonautes aperçurent enfin les mystérieuses créatures qui sortaient de l’Aristote et s’élançaient dans la verdoyante prairie.

Elles couraient, s’arrêtaient, embrassaient le sol, se relevaient, tournaient en rond, donnant libre cours à leur excitation.

— Suivons-les ! proposa Seymour en entraînant O’Connor.

Les deux hommes raflèrent leurs équipements et s’élancèrent dans l’escalier de fer en colimaçon conduisant à la base de la fusée.

Lorsqu’ils prirent contact avec le sol, les humanoïdes, indifférents à leur présence, continuèrent leur progression en direction des montagnes.

Ils se hâtaient, mais on les devinait hésitants, s’arrêtant à chaque instant pour observer les lieux, s’interpellant, se regroupant sous la voix de l’un d’eux.

Ils avaient franchi un petit bois, et le terrain, à présent, s’inclinait en pente douce vers un fleuve majestueux roulant ses eaux claires entre de grosses pierres polies par l’érosion.

Il y avait des champs de vesce, de belladone et de thym, dégageant une odeur agréable.

— Ces êtres-là appartiennent bien à ce monde, émit Seymour, mais cette contrée n’est pas la leur.

— Alors, on peut courir comme ça pendant longtemps, riposta le géant qui commençait à s’essouffler.

Mais ses bougonnements se muèrent soudain en un juron sonore.

D’étranges cavaliers venaient de faire irruption dans la vallée, et on les voyait foncer vers le groupe des fuyards. Ils étaient montés sur des monstres semblables à celui que les cosmonautes avaient combattu dans le vide, avec cette différence que ces reptiles étaient de taille plus réduite, leurs ailes membraneuses n’étant encore qu’à l’état d’embryon et sans aucune utilité apparente.

Elles étaient plaquées contre le corps arqué, masquant en partie les cavaliers revêtus d’une armure formée d’écailles. Une sorte de capeline jaune et noire flottait sur leurs omoplates, et leur casque d’acier était surmonté d’un cimier dentelé.

Tout cela miroitait, alors que le poitrail des monstres semblait harnaché de cabochons de cinabre et de marcassites qui jetaient des éclairs dans les rayons de l’astre rouge.

Les lourdes pattes faisaient s’envoler des tourbillons de poussière alors que les cavaliers furieux levaient leurs sabres, leurs rapières, leurs massues hérissées de pointes mortelles.

Les loqueteux que Seymour et O’Connor avaient pris en chasse essayaient de fuir ; ils sautillaient pour éviter les queues menaçantes des monstres, mais le terrain n’était pas à leur avantage.

Ils tombaient, trébuchaient, et les bêtes d’apocalypse fonçaient sur eux de toute leur masse.

— Par ici, cria Seymour.

Et, dans son élan, il entraîna O’Connor vers un amas de rochers.

La loi d'Algor
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